Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
21 décembre 2014 7 21 /12 /décembre /2014 18:04


Il y a trois jours, les usines Ford à Genk fermaient leurs portes; la fin d'une époque.  Au-delà de la catastrophe économique et sociale qui découle de cette fermeture d'usine, délocalisée vers les cieux financièrement plus cléments d'Espagne, cette fermeture marque symboliquement la fin d'une conception du tandem production/consommation datant d'une autre époque.  Ce pourrait être, par la même occasion, le point de départ d'une réflexion sur le changement de paradigme des notions de travail et de partage.

 

Ford Fermé


Une brève leçon d'histoire récente

 

Il est impossible de parler de l'organisation scientifique du travail sans citer le nom de deux de ses pionniers : Taylor et Ford.  Taylor n'est pas une marque de véhicule, du moins pas encore.  Peut-être verra-t-on un jour des moyens de locomotion intersidéraux se nommer "Taylor T" ou "Taylor Focus", en référence au capitaine Taylor de la planète des singes, mais nous sommes là en pleine science-fiction.  Frederick Winslow Taylor, d'où provient le substantif "Taylorisme" s'est d'abord attaqué au penchant naturel qu'ont les ouvriers à flâner tout au long de la journée de travail.  L'idée de base est la suivante : plutôt que de confier un travail complet (et parfois complexe) à un ouvrier, il suffit de décomposer ce travail en une série de tâches élémentaires simples à réaliser.  Pour définir et agencer ces tâches entre elles, un nouveau métier est créé : l'ingénieur des méthodes.  En clair, cela signifie que l'un pense et que les autres exécutent; une division du "savoir" et du "faire" est donc opérée sur ce qui constituait précédemment un "savoir-faire".

 

Ford, Henry de son prénom, va un pas plus loin dans la division du travail en systématisant la découpe des tâches, qui deviennent des opérations de plus en plus élémentaires, ne nécessitant donc pas de qualification précise pour les prendre en charge.  Certaines de ces opérations sont même confiées à des machines, plus fiables et plus rapides que les ouvriers, permettant ainsi de gagner du temps et de produire plus.  La chasse aux temps morts ne s'applique plus uniquement aux ouvriers, mais à l'ensemble des étapes de la production. Les phases de déplacement des éléments à assembler se réduisent de plus en plus, pour en arriver à une chaine continue de montage.  Ce n'est plus l'homme qui se déplace vers le travail, c'est le travail qui vient vers l'homme.  "On ne paie pas un ouvrier pour faire de la marche à pied", disait Henry.

 

Rationnalisation du travail : un bien ou un mal ?

 

S'il est vrai que la décomposition extrême du travail en opérations élémentaires n'est pas spécialement épanouissante pour l'ouvrier, on ne peut pas nier que ce fut la porte d'entrée à la production et à la consommation de masse.  Où en serions-nous dans notre confort (voire même dans notre luxe) quotidien si Taylor et Ford n'étaient pas passés par là ?  Bien que des voix se soient élevées contre la mécanisation et le travail à la chaine, il n'en reste pas moins que ce mode d'organisation du travail reste largement répandu.  Et si ce n'est pas ici, dans les sociétés occidentales décadentes industriellement, ce sera là-bas dans les pays émergents où la main d'oeuvre est peu coûteuse et utilisée comme une ressource plutôt que comme un capital humain.

 

Il suffit de (re)voir les Temps modernes pour se dire "hé bé hé bé, tout cela a laissé des traces !", mais de bonnes choses sont apparues avec cette évolution du travail.  A commencer par l'étude des mouvements et des gestes afin d'éviter la fatigue et les blessures, qui ouvrira la porte à cette chose bien utile qu'est l'ergonomie.  Aussi par l'acquisition de biens de consommation qui au départ n'étaient réservés qu'à une élite, la voiture - puisqu'on a parlé de Ford - étant un des exemples les plus représentatifs.  Sans oublier la nette amélioration des conditions de vie, tous azimuts, qui découlent de la société de consommation dont Taylor et Ford furent les ingénieurs.

 

Alors, en fin de compte, un bien ou un mal ?  Je vous laisse seul juge.  Pour ma part, je fais juste le constat que l'un (la société de consommation) n'aurait pas pu exister sans l'autre (l'organisation rationnelle du travail).  Et un autre constat, du point de vue de la consommation et de l'accès aux biens qui sont produits : des limites sont aujourd'hui atteintes, car, d'un côté, tout le monde n'a pas accès aux biens qui sont produits et, pire, l'accès au travail constitue aujourd'hui un problème partout dans le monde.

 

Et l'avenir ?

 

S'entêter à répéter que la seule sortie de crise (ou de récession, de dépression, ...) possible est la croissance, il n'y a guère plus que quelques naïfs et des politiciens pour y croire.  Et quelques patrons du XXème siècle également; mais, rappelons-le à ceux qui ne sont pas encore au courant, nous sommes bel et bien en train d'écrire aujourd'hui l'histoire du XXIème siècle.  De la croissance, pourquoi pas ?  Mais pas n'importe comment, pas à n'importe quel prix, et pas toujours au profit des mêmes.

 

Et, à propos d'Histoire, si l'on veut éviter que des épisodes barbares ne se répètent stupidement dans nos sociétés dites civilisées, c'est le bon moment pour repenser le partage du travail et des ressources.  Alors, quand j'entends qu'on envisage de prendre en Belgique des mesures qui vont à l'encontre du partage du travail, comme la suppression de crédits-temps, le recul de l'âge de la pension (avec son corollaire obligatoire qu'est la complète indifférence quant à l'insertion des jeunes), la chasse aux chômeurs, la diminution des effectifs et le non-remplacement du personnel dans le service public, les mesures d'austérité, ..., je me dis qu'il y en a qui n'ont rien compris et qui n'ont aucune vision au-delà des quelques années que durent un mandat politique.

 

Il est peut-être temps que l'Organisation Scientifique du Travail tire sa révérence et laisse la place à l'Organisation Humaine et Scientifique (il faut les deux, mais l'ordre a toute son importance) du Partage du Travail pour le Respect et le Bien-Etre de Tous.

Partager cet article
Repost0

commentaires